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La vérité n'est pas toujours bonne à dire

Me voilà donc dans ce coin bureau qui m’attire et me fait peur tout à la fois. Que cache-t-il exactement ? Ce petit coin de la maison est celui qui doit contenir le plus. Ou alors, je suis vraiment tarée.

Et si jamais je ne trouvais rien ? Et si jamais… j’étais vraiment folle ? Comment allais-je m’en rendre compte ? Mes amis trouvaient déjà que j’exagérais. Non… pas tous mes amis. Lucas avait promis qu’il m’aiderait, quand on aurait la réponse d’Alaël… Mais si cette réponse n’amenait rien ? Qu’allais-je faire ? Je n’avais pas d’autres pistes. J’avais beau vouloir faire mes recherches toute seule, si je n’obtenais aucune réponse qui me mènerait à quelque chose, je ferais du sur-place.

Bon… commençons toujours par ce livre de Balzac…

Je l’ai donc pris et l’ai ouvert doucement. Bien sûr, il n’y avait rien d’évident, dedans. Ils avaient pris soin de ne pas mettre ça si peu discrètement… Mais j’avais emmené ma lampe de poche avec moi, pas folle la guêpe non plus !

Je l’ai donc mise en dessous d’une page, comme je l’avais découvert il y a quelques années, et un large sourire est apparu sur mes lèvres… les écritures étranges que je connaissais à présent étaient bel et bien là, toutes fraîches.

Le problème, c’est que je ne savais toujours pas ce qu’elles signifiaient…

Je me suis donc levée et j’ai cherché dans les livres un autre indice. Peut-être existait-il dans cette bibliothèque un livre qui décrivait la signification de ces signes étranges.

Je reconnais, j’aurais eu beaucoup de chance en trouvant ce livre, et encore plus s’il existait… mais je ne comptais pas laisser tomber. Plus maintenant !

J’ai donc farfouillé, mais évidemment, tous les titres de ces fichus livres étaient on ne peut plus normaux ! Il aurait fallu que je les ouvre un à un, sans doute mes parents l’avaient-ils cachés sous une couverture de roman inintéressant. Je n’avais pas le temps de faire ça !

Déçue, je me suis laissé retomber sur le fauteuil, et j’ai fermé les yeux… puis je les ai rouverts et j’ai regardé vers un coin de la pièce.

C’est là que j’ai vu une feuille dépasser d’un tiroir du bureau. Je me suis levée et j’ai regardé. Et surprise ! Sur le petit bout de feuille que je voyais, il y avait ces mêmes signes !

J’ai donc tenté d’ouvrir le tiroir… il était évidemment fermé à clé !

J’ai fait deux ou trois tours sur moi-même, espérant inconsciemment trouver cette fichue clé quelques part… mais c’était évidemment utopique.

J’ai soupiré, puis baillé.

Bon, ma petite Naëlle, il allait falloir trouver cette clé, maintenant.

Bien sûr, j’avais essayé de tirer sur la feuille, mais têtue comme elle était, elle voulait se déchirer plutôt que de glisser. Je n’avais décidemment pas de chance…

Je suis donc remontée dans ma chambre. Mon cœur s’est mis à battre plus vite quand j’ai entendu des voix provenant de la chambre de mes parents… et s’ils m’avaient entendue ?

Heureusement, ils semblaient absorbés par leur conversation, et si d’ordinaire j’aurais filé dans ma chambre pour être certaine de ne pas être prise sur le fait, quand j’ai entendu mon nom prononcé, je n’ai pu m’empêcher d’écouter à la porte…

- Tu as vu ? Plus rien ne l’intéresse ! Comment allons-nous faire ? Si elle ne cherche plus… dit ma mère.

- J’ai vu ! Mais ne sois pas si pessimiste, tu veux ? Elle est jeune encore, c’est l’âge où ils ont plein de choses en tête… tu ne peux pas le lui reprocher. Et peut-être que c’est le moment qu’ils vont choisir pour se rapprocher, elle et Lucas…

- Tu crois ? Je pensais qu’elle était curieuse… ce n’est pas dans son caractère de laisser tomber ! Il faut qu’on lui donne d’autres indices !

- On ne peut pas ma chérie, tu le sais ! Il faut qu’elle découvre elle-même. Qui te dit qu’elle a arrêté de chercher ? Nous n’en savons rien… répondit mon père.

- Oui… j’espère que tu as raison…

Puis, ce fut le silence… enfin… pas tout à fait. J’ai entendu des bisous, et je me suis éclipsée vite fait.

Je me suis mise au lit, et évidemment, je n’ai pas pu dormir tout de suite. Trop de choses se bousculaient dans ma tête. Je n’avais quand même pas rêvé ! Mes parents voulaient que je découvre quelque chose, mais ils ne me le disaient pas directement ! C’était totalement illogique ! Tous ces secrets… ils étaient bien réels, quand même ! Ou alors, je délirais grave !

Je me suis dit, en tout cas, que demain… j’en parlerais à Lucas. Et uniquement à lui…

Ysa était redescendue dans mon estime depuis que je savais ce qu’elle pensait réellement de moi !

Cette nuit-là, j’ai rêvé de la feuille qui dépassait du tiroir du bureau… j’ai rêvé qu’elle me disait exactement ce que signifiaient ces signes dans les livres… un rêve prémonitoire ? Pas sûr…

Le week-end était là, à ma grande déception. Il allait me falloir attendre lundi pour savoir ce qu’Alaël avait récolté comme informations auprès de ses parents…

Oui, j’aurais pu lui téléphoner, mais je m’étais promis de ne pas la harceler et de lui laisser le temps d’aborder ce sujet délicat avec ses parents. Après tout, peut-être qu’eux aussi avaient leurs secrets, ou peut-être qu’ils n’avaient pas envie d’en parler. Car il s’agissait là des origines de son père, son père qui n’était pas comme les autres, avec ses oreilles pointues, ses grandes ailes qu’il pouvait faire sortir de son dos et son fichu caractère, d’après mon amie.

Et moi, qu’ai-je fait pendant ce week-end ?

Comme prévu, j’ai cherché cette clé que je savais à l’avance introuvable. Ça aurait été trop beau que je la trouve, que je puisse lire cette feuille et que je sache enfin ce que tous ces signes voulaient dire. Sérieusement, si mes parents voulaient me cacher l’existence de tout cela, ils n’avaient certainement pas laissé la clé à portée de main…

Il était déjà fort étonnant de leur part qu’ils aient laissé cette feuille dépasser… Néanmoins, je les avais entendus, l’autre jour, dire qu’ils devraient peut-être me donner plus d’indices… Mais mon père avait dit qu’ils ne pouvaient pas.

Depuis ce jour-là, ou plutôt cette nuit-là, les paroles de mes parents résonnaient dans ma tête, tous les soirs. Je les connaissais par cœur.

Un tas de nouvelles questions avaient évidemment fait leur apparition… Je me demandais pourquoi ma mère se plaignait que je ne cherche plus à savoir ce qu’ils me cachaient. Toutefois, ça me rendait assez « heureuse », car le but recherché en faisant semblant de laisser tomber était atteint : mes parents avaient remarqué que je ne cherchais plus. Et cela les étonnait. Du coup, ils voulaient m’en donner plus pour que je découvre leurs secrets.

Mais ce qui me chiffonnait, c’est qu’ils désiraient à la fois que je découvre la vérité, et en même temps, ils ne me donnaient pas plus d’indices, ne m’aidaient pas et, pire encore, m’empêchaient de faire des recherches plus approfondies. Un vrai casse-tête, cette histoire !

Quel genre de parents veulent à la fois garder un secret et qu’il soit découvert ? Quel genre de fille devait découvrir ce secret ? Devais-je réellement le découvrir ? Et si jamais ce que je découvrais ne me plaisait pas ?

Tout cela tournait dans mon esprit depuis cette conversation entendue derrière une porte.

Heureusement, le lundi est encore vite arrivé, histoire que je ne devienne pas folle avant.

A peine descendue du bus scolaire, je me suis précipitée vers Alaël pour savoir si elle avait réussi à obtenir des informations de ses parents.

- Alors ? Qu’est-ce qu’ils ont dit ?! ai-je demandé sans même lui dire bonjour.

- Salut ! me fit-elle avec un sourire amusé, comme si elle se moquait gentiment de moi.

- Oui oui, salut ! Alors ?!

Alaël a rigolé devant mon enthousiasme. Heureusement qu’elle commençait à me connaître et à savoir que ce n’était pas par impolitesse ou sentiment de supériorité que je ne prenais pas la peine de m’étaler sur les salutations.

- Bon, j’ai abordé le sujet avec ma mère… dit-elle en reprenant son sérieux, un air grave sur le visage.

- Pourquoi ta mère ? C’est ton père, la fée !

- Je sais mais bon… tu ne connais pas mon père ! Il n’aime pas trop parler de tout ça… Tu sais, c’est une blessure pour lui. On a été rejeté de notre propre peuple… de son peuple !

- Ouais… je comprends. Et ta mère, qu’est-ce qu’elle a dit ?

- Eh bien… en fait, je lui ai demandé comment s’était passé notre retour ici. Pourquoi on avait dû revenir etc.

- Et alors ?

- En fait, quand ils étaient ado, mon père et sa famille ont débarqué dans votre… monde. Il a rencontré ma mère à l’école, et mon oncle. Ils étaient amis tous les trois et mon père a commencé à sortir avec ma mère.

- Puis, quand ils ont eu l’âge d’aller à l’université, ma mère a plaqué mon père parce qu’elle avait peur de la distance et de souffrir. Enfin bref, ils se sont finalement remis ensemble, se sont fiancés et mariés, et puis ma mère m’a attendue. Et peu de temps après ma naissance, mon père a proposé à ma mère de retourner dans son monde. Ça lui manquait et il avait une peur bleue de voir ma mère mourir. Alors ils sont repartis là-bas, avec moi. On y est resté jusqu’il y a peu. Le peuple de mon père semblait avoir accepté qu’on soit revenus. Seulement… il semblerait que notre monde ait été découvert…

Elle se tut, semblant gênée.

- Qu’est-ce qu’il y a ? lui ai-je demandé d’une voix douce.

- Naëlle… apparemment… ce sont tes parents qui ont découvert notre monde.

Je l’ai regardé, les yeux écarquillés et le cœur battant la chamade.

- Et… et alors ?

- Alors… depuis que notre monde a été découvert, il a été envahi par plein d’humains, des mortels, et les fées n’ont pas apprécié. C’est pour ça qu’on a dû revenir. On s’est fait rejeter de notre peuple.

- Tu veux dire… que mes parents… que c’est à cause de mes parents que vous avez dû quitter votre pays et votre peuple ?

- Je pense que oui, Naëlle. Je suis désolée. Ma mère… je ne lui ai pas dit que c’était tes parents. Elle m’a juste dit le nom des deux personnes qui avaient initialement découvert leur monde. Ils avaient apparemment promis de garder tout ça secret mais…

J’étais incapable de prononcer un mot. Alors c’était ça, le secret de mes parents ? Ils avaient découvert un monde qu’ils avaient fini par détruire ? Ils n’avaient pas tenu leur promesse et étaient des traîtres ?

J’ai regardé Alaël, qui me fixait avec des yeux tristes. Les larmes aux yeux, j’ai couru vers les toilettes où je me suis enfermée pour pleurer toute ma déception.

Moi qui pensais découvrir un aspect secret mais non moins magique et surprenant de mes parents, je tombais de haut.

J’ai entendu Alaël ouvrir la porte des toilettes et prononcer mon nom, mais je n’ai pas pu répondre.

Elle est ressortie, et je me suis dit qu’elle abandonnait vite. Elle devait m’en vouloir, elle aussi. C’était normal, après tout. Mes parents avaient trahi les siens…

Puis, la porte principale s’est à nouveau ouverte, et j’ai entendu des pas. Mais j’ai sursauté quand c’est la voix de Lucas qui m’a appelée.

- Naëlle ? Tu es là ? Réponds-moi, s’il te plait…

- Tu es dans les toilettes des filles… ai-je répondu avec une voix enrouée.

- C’est rien, je ne vois rien d’ici… allez, sors, tu veux bien ?

Je n’ai rien dit et suis restée immobile encore quelques secondes. Puis je me suis enfin décidée à sortir.

- Je suis une égoïste… dis-je alors en sortant, tête baissée.

- Pourquoi tu dis ça ? demanda Lucas en me prenant dans ses bras.

- Parce que ce sont les parents d’Alaël qui ont été trahis, c’est eux qui ont été expulsés de chez eux, et c’est moi qui viens pleurer dans les toilettes…

Lucas m’a caressé doucement les cheveux et m’a serrée un peu plus en un geste réconfortant.

- Allez… ne dis pas n’importe quoi. Tu n’es pas responsable des actes de tes parents, et puis je suis sûr qu’il y a une explication à tout cela… crois-moi, dit-il sur une voix apaisante.

Ça faisait du bien de se sentir entourée et soutenue sans condition. J’ai inspiré profondément et suis restée blottie contre lui un moment, profitant de sa protection et des ces instants privilégiés avant d’affronter à nouveau la dure réalité.

Puis je me suis écartée avec un sourire timide aux lèvres et je l’ai regardé.

- Merci Lucas…

Il a souri à son tour.

- Tu devrais aller parler à Alaël et lui dire que tu ne savais pas. De toute façon, elle ne t’en veut pas, elle me l’a dit. C’est elle qui est venue me chercher tu sais ?

- Tu es sûr ?

- Mais oui ! Elle est assez intelligente pour savoir que tu n’y es pour rien !

- Et Ysa ?

- Quoi Ysa ? répondit-il aussitôt sur un ton un peu sec.

- Elle est au courant ? Elle sait que mes parents… et elle sait que tu es venu ?

- Naëlle… ! Elle ne sait pas pour tes parents à moins qu’Alaël ne le lui ait dit, et en ce qui concerne le fait que je sois venu… Je suis ton ami au même titre qu’elle est ton amie ! Je ne vois pas pourquoi je ne pourrais pas venir te soutenir ! Depuis quand tu t’inquiètes de sa jalousie ?

Sa question m’a refroidie. C’est vrai, depuis quand je faisais attention à ne pas froisser sa susceptibilité ? Avant, je ne me posais jamais la question de savoir si elle allait être jalouse ou non. Parce que Lucas était un ami et qu’il était certain qu’il n’y aurait jamais rien entre nous !

Alors pourquoi maintenant, je me posais toutes ces questions ? Il était toujours mon ami, et il n’y avait toujours rien entre nous ! On avait toujours été proches, lui et moi, parce qu’on avait un peu le même genre de caractère, qu’on se comprenait et qu’on partageait beaucoup de choses.

Peut-être que savoir que maintenant, celle que j’avais toujours considérée comme mon amie  ne me comprenait plus du tout avait eu cet impact. C’est ce que j’essayais de me dire, en tout cas.

- Je… je ne sais pas… ai-je bafouillé en baissant les yeux.

- Qu’est-ce qu’il y a Naëlle ? m’a alors demandé Lucas en me soulevant le menton de ses doigts pour me forcer à le regarder dans les yeux.

- Et toi ?

Surpris, il m’a regardée, les sourcils froncés.

- Quoi, moi ?

- C’est toi qui es bizarre, c’est pour ça que je suis méfiante envers Ysa.

- Qu’est-ce que j’ai de bizarre ? demanda-t-il sur un ton où perçait un pointe d’agacement mêlée à quelque chose qui ressemblait à de la déception.

- Tu es… proche de moi.

- Naëlle ! J’ai toujours été proche enfin ! Qu’est-ce que tu racontes ?

- Non… rien… peut-être que… peut-être que je n’ai plus beaucoup confiance en elle… à cause de ce que tu m’as dit. Ça doit être ça…

Lucas a soupiré et m’a lâchée.

- Tu devrais discuter avec elle de tout ça tu sais ? Ne me mets pas entre vous deux. Je ne veux pas choisir Naëlle.

- Je ne te demande pas de choisir ! C’est ta petite amie ! C’est normal que je m’inquiète de votre couple !

- Oui mais tu es mon amie, j’ai le droit d’être proche de toi !

- Bon ! Très bien ! ai-je dit en sortant des toilettes sans lui laisser le temps de répondre.

Cette conversation me mettait mal à l’aise, et il fallait de toute façon que je parle à Alaël.

Lucas est resté planté là, puis est sorti quelques secondes plus tard et m’a jeté un drôle de regard avant de rejoindre ses copains plutôt qu’Ysa qui semblait pourtant l’attendre.

Moi, je suis allée près de mon autre amie.

- Je suis désolée Alaël… pour mes parents. Je ne savais pas.

- Et tu ne pouvais pas savoir ! Et même si tu avais su, que pouvais-tu faire ? Rien Naëlle. Alors ne te prends pas la tête avec ça, tu veux ? me dit-elle gentiment.

- Oui mais bon…

- Y a pas de « oui mais » qui tienne. T’inquiète pas, je ne t’en veux pas. Ni même à tes parents ! Il y a peut-être une explication à tout ça ! Touches-en leur un mot !

- Moui… je ne sais pas. En tout cas, merci…

- De rien… me dit-elle avec un sourire.

Le reste de la journée s’est passée normalement, si ce n’est que Lucas m’a évitée, et qu’Ysa ne m’a pas adressé la parole. J’avais la sensation de perdre deux de mes amis, et ça ne me plaisait guère.

Alors en rentrant, lasse, fatiguée moralement, je n’y ai pas été par quatre chemins, et j’ai décidé de demander à mes parents pourquoi ils avaient fait ça !

Après le dîner, quand mon frère est monté, je suis allée rejoindre mes parents dans le salon.

- Je dois vous demander quelque chose… ai-je dit immédiatement.

- Oui ma Naëlle ? m’a demandé mon père.

- Pourquoi vous avez trahi le peuple des fées ? dis-je alors en regardant mon père droit dans les yeux.

Celui-ci a regardé ma mère, et ils se sont parlé avec leur regard. Ils sont restés silencieux de longues minutes, et je m’impatientais, observant leur manège. J’allais m’emporter, quand mon père a ouvert la bouche pour parler…

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